March 2021 / Selportraits / iPhone 8 Plus
Salpingectomie bilatérale (à visée de contraception définitive).
Je suis têtue. Sûrement parce qu’avant de m’obstiner, je doute, je pèse et j’analyse encore et encore, jusqu’à ce que m’apparaisse la réponse, lumineuse et limpide, en forme de révélation. Je ne demande que très peu qu’on m’aiguille. La vision des autres, je m’en fous. Et quand je veux quelque chose, je fais montre de suffisamment d’opiniâtreté pour l’obtenir. Et j’ai obtenu ce que je voulais. J’ai 37 ans et depuis 6 mois, je n’ai plus de trompes. Paradoxalement, c’est un poids en moins.
« T’es sûre? Tu vas pas le regretter? »
« Et si tu changes d’avis? »
« Mais là vous êtes célibataire, si vous rencontrez l’homme de votre vie vous voudrez peut-être avoir un enfant ensemble! »
« Je sais pas, moi je me sentirai comme incomplète. »
« Vous êtes trop jeune, vous ne savez pas de quoi votre vie sera faite. »
Toutes ces phrases je les ai entendues. Par des proches, par des médecins, auxquel.le.s je n’ai jamais demandé l’avis. Mais chacun.e à un avis à donner sur le choix des détenteurices d’un appareil reproductif féminin fonctionnel. Pourtant la terre est pleine d’humains fertiles, j’ai moi-même donné ma contribution à la race humaine. J’ai un enfant de 11 ans que j’aime d’un amour infini, mais que je n’ai pas choisi d’avoir.
Je passerai les détails techniques et intimes car ils impliquent aussi le concepteur de cet enfant dont je ne souhaite pas parler, mais j’ai appris ma grossesse à presque 14 semaines d’aménorrhée. J’avais 25 ans, et je ne m’étais jamais réellement posé la question de la maternité. Je pensais avoir le temps, et je ne m’étais jamais sentie suffisamment heureuse en couple pour y penser. Mais m’étais-je seulement sentie suffisamment heureuse tout court?
Je l’ai quand même gardé, cet enfant. Je l’ai nourri, élevé, câliné, bercé, endormi, fait rire ou pleurer pendant 11 ans. Seule. J’ai souvent eu envie de tout arrêter, de l’abandonner. J’ai souvent tapé « faire adopter son enfant » sur Google. J’ai subi cette maternité, je l’ai vécue comme une punition, une torture, au point d’essayer de mettre fin à mes jours plusieurs fois durant les 2 premières années de vie de mon fils. La vérité c’est que je faisais une dépression du post partum, mais je ne veux pas que cette affection cache la vérité crue que personne ne veut entendre: je regrette d’avoir eu cet enfant.
A 25 ans donc, je n’avais pas encore eu le temps de me réaliser en tant qu’adulte, et la maternité avait mis cette découverte de moi-même entre parenthèses. J’ai entendu qu’être mère « permet de se découvrir en tant que femme », ou que c’est « la plus belle aventure que l’on puisse vivre ». Si je n’avais pas eu la ressource nécessaire pour m’émanciper de ces discours essentialistes, j’en aurais certainement déduit que je suis indigne d’être une femme. Mais moi je porte fièrement cette indignité, comme un trophée. Je m’en couronne, je m’en pare. Ou parfois je m’en care les ovaires.
Heureusement, les enfants grandissent, et j’ai petit à petit eu de nouveau l’espace mental disponible pour savoir qui je voulais être. Et tout était là, lumineux et limpide. Je ne voulais plus jamais être mère. Je ne voulais plus tenir entre mes mains la vie d’un être tout neuf auquel il faut tout apprendre. Je ne voulais plus vivre avec la peur de faire des erreurs, la peur de le rendre malheureux, la peur que le monde le rende malheureux. Une révélation.
Je suis pourtant tombée enceinte deux autres fois. Jugez-moi, mais les voies de la contraception sont impénétrables. A chaque fois j’ai avorté sans hésiter. Sans pleurs, sans doutes, et sans regrets. Puis j’ai choisi de me faire poser un DIU, parce que je n’aime pas les hôpitaux. Je n’aime pas souffrir non plus, mais ce stérilet m’a tout de même fait vivre 6 mois de douleurs quotidiennes. Ces douleurs qui vont foudroient, qui vous font vomir. J’avais aussi tous les mois la trouille irrationnelle d’être enceinte, au point d’y penser pendant mes rapports sexuels.
Et puis en 2016, une amie m’a parlé de son souhait de se faire ligaturer les trompes. Elle n’avait pas 30 ans, elle n’avait pas d’enfant, mais elle n’en voulait pas. Je lui ai posé cette même question de merde, qu’on m’a posée 100 fois par la suite: « Tu n’as pas peur de changer d’avis? ». Je me déteste d’avoir dit cela, mais sa réponse m’a transpercée. Elle a dit cette phrase si simple, mais pourtant si forte: « Est ce qu’on demande aux femmes qui veulent des enfants si elles n’ont pas peur de changer d’avis? Non. Alors que c’est quand même plus grave de regretter d’avoir des enfants, que de regretter de ne pas en avoir. Parce que dans le premier cas, on peut rendre au moins deux humains malheureux ». Evidemment, elle avait raison. Et cette phrase a résonné en moi, lumineuse et limpide.
Je suis sûre. Je ne veux plus d’enfant. Et j’ai peur. Peur de retomber une quatrième fois enceinte, ou peur de céder aux demandes d’un homme qui voudrait « avoir un enfant avec moi ». J’ai peur de céder tout en étant sûre que la maternité ne me convient pas. J’ai honte de le dire, mais ma misogynie intériorisée engendre la peur de « perdre mon homme » si je ne peux pas lui « donner d’enfant ». Lui « donner d’enfant »… Pour le coup oui, je pourrais lui donner, mais il faudrait qu’il parte avec sans se retourner. Je ne veux plus dormir 12 heures par semaine, préparer 8 biberons par jour, perdre 1 an d’espérance de vie par mois. Je ne veux plus changer des couches, chanter des comptines, charger ma bagnole jusqu’a l’asphyxie dès que je sors de chez moi. Je ne veux plus avoir envie de brûler le monde pour le rendre plus safe pour mon enfant.
Je ne veux plus d’enfant. Je veux faire des photos, boire du café et fumer des clopes.
Le souhait est facile. Le réaliser l’est moins. Au détour d’une consultation avec ma généraliste, qui est aussi gynécologue, je lui parle de mon souhait, et je lui demande comment procéder. J’aimais beaucoup ma généraliste. C’est une femme blanche, drôle, emphatique, à l’écoute, jeune. J’étais à 100 lieues de m’imaginer la réaction qu’elle a eue, qui fut la suivante: « Non, vous êtes jeune, vous n’avez qu’un enfant. Ne vous arrêtez pas à cette expérience, vous rencontrerez peut-être un homme qui voudra vraiment un enfant avec vous, et vous vivrez la maternité différemment. Je refuse de vous orienter vers une stérilisation. »
Elle refuse. Je ne comprends toujours pas aujourd’hui, comment quelqu’un peut me refuser un moyen de contraception, si définitif soit-il. Je comprends encore moins que cela vienne d’une femme jusque là ouverte et tolérante, et qui ne m’a jamais jugée. Je n’ai pas insisté, car je me suis sentie comme une ado à laquelle on refuse un tatouage Hello Kitty. Même si au final, il est plus facile de se débarrasser d’un tatouage Hello Kitty que d’un enfant. J’ai toujours gardé le désir d’être « inféconde », même si jusque là, le stérilet ne m’avait pas fait défaut, contrairement à tous les autres moyens de contraception que j’avais essayé. Et je m’en contentais.
En Novembre 2019, je déménage dans une autre ville. Je décide de réitérer ma demande auprès de mon nouveau gynécologue. C’est un homme noir, drôle, emphatique, à l’écoute, âgé. Et j’étais à 100 lieues d’imaginer qu’il me dirait « Ok, je vous fais une lettre pour un rendez-vous à l’hôpital. ».
Il accepte. Ou plutôt, il fait son travail. Cela ne l’a pas empêché d’être paternaliste, de me dire que certaines de ses patientes ont changé d’avis, et que « heureusement que les FIV sont prises en charge dans ces cas là ». Je n’ai pas manqué de lui dire qu’il ne m’a parlé pas de ses patientes qui n’ont pas changé d’avis, et qu’elles sont surement plus nombreuses que celles qui regrettent. Mais il ne m’a pas barré la route.
J’appelle donc le numéro indiqué dans la lettre de mon gynécologue, le bien nommé Centre Olympe de Gouges. J’ai rendez-vous 4 mois après _la durée du temps de réflexion imposé_ car vous savez bien, « souvent femme varie »… Et là tout va vite. On ne me demande rien, on ne me juge pas. Je ressens pourtant le besoin de me justifier, chose qui fait sourire le gynécologue qui me reçoit. Il m’explique ensuite qu’il y a deux opérations différentes: « cautériser » les trompes pour « boucher le passage », ou carrément l’ablation des trompes si je le souhaite, toutes les deux réalisées par coelioscopie. Il me dit aussi que de l’air est envoyé dans l’utérus et que c’est la complication post op la plus reloue, et qu’il « faudra péter » pour l’expulser. Il me redit que si je change d’avis, une FIV sera prise en charge. Puis il me donne de la doc explicative, me fait signer un consentement, me donne un rdv avec une anesthésiste, et voilà. Je n’ai pas peur, je suis contente, je me sens considérée et écoutée.
Je vis tout bien, du régime « sans résidu » qu’il faut suivre 3 jours avant l’opération, jusqu’à la dépilation intégrale du pubis. L’angoisse monte néanmoins la veille de l’intervention. Je n’ai jamais eu peur des opérations, je n’ai jamais eu peur de mourir. Mais je déteste les hôpitaux, car j’ai l’impression d’y être emprisonnée, privée de certaines libertés. Comme fumer des clopes et boire du café.
Le mardi 2 mars 2021, c’est les vacances scolaires, mon fils est chez ma mère, et mon mec a pu poser des jours pour être avec moi. Ah oui, mon mec. Je n’en ai pas parlé jusque là, parce qu’on parle trop des hommes tout le temps, et que ce que je fais de mon corps n’a pas à être soumis à son avis. Je ne le lui ai d’ailleurs pas demandé, son avis. Je l’ai juste prévenu que j’allais me faire stériliser, et que vraiment si il voulait avoir des enfants un jour ça ne serait pas avec moi. Il savait déjà que je ne voulais plus d’enfants et que je voulais faire cette opération. Et fort heureusement il n’a donné aucun avis ni jugement, il s’est contenté d’être là, de me soutenir et de m’aider. Il m’attendait dans ma chambre à mon réveil, qui fut mouvementé. Il m’a sourit, il m’a fait rire, un peu trop même. Parce qu’autant sur le papier l’opération est simple, autant les suites opératoires le sont moins.
Cette pauvre petite incision d’1 cm près de mon nombril ne fut en aucun cas représentative de la période d’incapacité qui a suivi. J’étais incapable de faire quoique ce soit. Se lever, dormir sur le dos, marcher, rire, pisser, chier, se laver… Tout devient compliqué. On ne se rend pas compte à quel point on fait travailler nos abdos pour tout et rien au quotidien. J’avais l’impression de m’être battue avec quelqu’un, ce qui au final n’était pas faux. Par cet acte, je me battais contre le patriarcat, et son injonction à la maternité. Mais si le combat se livre seule, le repos de la guerrière doit être accompagné. On ne peut clairement pas se remettre de cette opération sans aide, a fortiori seule avec un enfant. Enfin, je sais que vous pouvez, parce que les femmes sont habituées à tout faire seules. Mais juste ne le faites pas. Comme moi, faites-vous servir, choyer, câliner, aider. Ne glandez rien. Donnez le temps à votre corps de se remettre, et l’opportunité à votre mec de montrer qu’il est votre allié. Le mien, il l’est, et je l’aime d’un amour infini lui aussi. Parce qu’il embrasse mon hématome, m’accompagne aux toilettes, et me fait rire. Un peu trop. Rire fait travailler les abdos.
Je suis radicale. Mais j’assume et je pèse chaque mot. J’ai 37 ans, je ne peux plus avoir d’enfant et je me sens légère et libre. Mon avenir m’apparaît lumineux et limpide.
Mais je ne voudrais pas, mon fils, que tu lises un jour mes mots et que tu penses que ton existence a gâché la mienne. Je n’ai pas décidé de ta conception. Mais il y a bien eu un moment où je t’ai choisi. J’ai réussi à t’aimer, plus que tout. Quand je vois l’incroyable petit être humain que tu es aujourd’hui, je me dis que j’ai réussi, ou tout du moins pas échoué. Il me tarde de voir l’adulte tout autant incroyable que tu vas devenir.