Mars 2017
Nikon D4s, 24-70 mm.
Modèles: Sssolwenn & Ben
Texte: Emilie Philibert
Assistante: Hélène Denizard
« Enfant, on m’a dit que le croque-mitaine n’existait pas.
En grandissant, j’ai compris qu’il n’était pas celui que l’on croit. Il n’est pas caché dans mon placard, ni même sous mon lit. En fait, il n’est pas ce monstre inconnu qui me terrifie. C’est pire que cela. Il existe et il a même partagé ma vie.
Cette peur de regarder sous mon matelas est partie, mais cette angoisse qu’un monstre est tapi dans le noir est parfois bien présente. Comme si la petite fille en moi était la seule à pouvoir le voir.
Elle me murmure parfois … Ne sens-tu pas son regard et son souffle chaud dans ta nuque ? Ne sens-tu pas tes poils se dresser quand il te frôle ? Moi si.
J’ai compris trop tard qu’il y avait un monstre là, tout près de moi, juste dans ma maison, dans mon lit, sous mes draps, là, juste dans mes bras.
Il est entré dans ma vie avec sa tendresse, son sourire et son costume bien taillé. Il m’a séduite avec son regard, sa simplicité, et cette pureté qui émanait de lui. Alors c’est sans peur, sans retenue et sans pudeur que je lui ai offert avec ferveur mon corps, et avec amour mon cœur.
Les jours passaient et je n’ai pas vu les signes, je n’ai pas su lire entre ces petites lignes. Quand on laisse entrer l’amour, qu’on se dévoile toute entière, comment savoir si on peut faire confiance et que cet autre ne vas pas vous blesser.
Où étais-tu quand le monstre a fracassé mes illusions, quand il a soulevé le voile de ma nudité, quand le croque mitaine a pénétré mon intimité ?
Je ne sais pas où était celui qui m’aimait, mais le monstre en toi était bien entre mes cuisses à moi. Il avait faim, alors il s’est gavé. Peu importe le consentement, il disait que c’était ma faute, que l’amour ça se prend, que j’étais trop belle pour ne pas qu’il me savoure.
Son souffle chaud m’as brulé la peau et son sourire carnassier m’as presque brisée.
Aujourd’hui, j’essaie de refermer la porte du placard où je l’ai jeté. J’ai beau changer de maison, d’amant et de lit, j’aurai toujours ce putain de croque-mitaine qui me suit. Même si son radar à monstres ne s’est pas déclenché, la petite fille en moi a toujours eu peur de lui, dès l’instant où l’on s’est rencontré, quand nous avons commencé à nous aimer, quand nos « Je » se sont transformés en « Nous ».
Comme elle, je me disais que ce n’était rien, qu’un homme comme toi ne pouvait pas me faire ça à moi. Tu disais m’aimer et me respecter. Finalement, j’ai compris que c’était toi, le monstre dont je devais me méfier.
Adulte, je peux dire que ce qui hante mes nuits, c’est ce que mon croque mitaine m’a fait sans bruit.
Et ça s’appelle un viol. »
Emilie Philibert